
par Clara Gaymard & Gonzague de BligniĂšres, co-fondateurs de RAISE
LâannĂ©e 2020 sâachĂšve. Vient le moment de se souhaiter une belle annĂ©e nouvelle.Le monde dâavant, le monde dâaprĂšs, le monde dâavec, le monde Ă venir, le monde passĂ©, le monde Ă construire et celui Ă dĂ©truire, nous avons Ă©tĂ© abreuvĂ©s de projections, de jugements, dâanalyses, dâespĂ©rances, de critiques, du passĂ© et de prophĂ©ties pour demain.LâannĂ©e 2020 nous a pris par surprise, elle a secouĂ© nos habitudes, nos repĂšres, emprisonnĂ© sans vergogne certaines de nos libertĂ©s. Elle est tellement inconfortable cette annĂ©e, que chacune et chacun nous avons hĂąte dâen sortir, de penser Ă demain, et de craindre Ă la fois quâil soit pire et dâespĂ©rer que la page sera bientĂŽt tournĂ©e. Peut-ĂȘtre peut-on tout simplement sâarrĂȘter, un jour, une heure, une minute, lâespace dâun instant sur le monde de maintenant.Que nous apprend-t-il ? Sommes-nous diffĂ©rents ? Avons-nous changĂ© ? Avons-nous grandi ? Sommes-nous affaiblis ?Aussi, avec vous, nous aimerions regarder 2020, comme une leçon de choses.Nous avons appris que lâimprĂ©visible est une loi immuable de la vie. Bien sĂ»r, prĂ©voir, se prĂ©parer, sâorganiser pour Ă©viter les risques est une rĂ©ponse dans laquelle lâhomme, les sociĂ©tĂ©s et les entreprises sont devenues de plus en plus expertes. Mais comment se prĂ©parer Ă lâimprĂ©visible ?Nous avons appris que chercher un coupable ou une responsabilitĂ© nâapporte pas de rĂ©ponse utile et quâil est vain de se perdre en accusations et en affirmations pĂ©remptoires, qui peuvent rapidement ĂȘtre dĂ©menties par les faits surtout quand lâĂ©vĂšnement qui survient est inĂ©dit. Accuser la Chine, le rĂ©chauffement climatique, le non respect des animaux, la gestion du gouvernement, nâaident en rien ni Ă la comprĂ©hension, ni Ă la rĂ©solution de la situation. Peut-ĂȘtre un jour, plus tard, il sera temps dâanalyser et de comprendre mais au moment de la tourmente, la seule chose qui importe, câest sauver des vies et prĂ©server ce qui peut lâĂȘtre.Nous avons appris quâon ne peut sâen sortir quâensemble. Lâindividualisme nâest pas de mise. Lâeffort est Ă la fois personnel et collectif. Mais personnel ne veut pas dire individuel. Chacun Ă sa maniĂšre agit, pas simplement pour soi mais pour les autres. Nous sommes unis par un destin commun dans la catastrophe comme dans le succĂšs.Nous avons appris que chacun rĂ©agit Ă sa façon face Ă la peur. Je ne parle pas ici des inĂ©galitĂ©s de contexte et de situation. Mais dans une mĂȘme famille, ou milieu professionnel ou social, les rĂ©actions des uns ne sont pas celles des autres. Et ce nâest ni une question dâĂąge ni de sexe. Des jeunes peuvent ĂȘtre trĂšs inquiets, des anciens insouciants, dâautres vigilants, certains obsĂ©dĂ©s par le risque, dââautres encore obĂ©issants et disciplinĂ©s. Quel que soit lâĂąge ou lâorigine, certains crient Ă la privation de libertĂ©, au complot, dâautres pensent quâon en fait pas assez pour protĂ©ger. A chaque personne sa lecture et son interprĂ©tation. Il a fallu non seulement sâadapter au contexte mais aussi Ă la rĂ©action de lâautre, parfois si surprenante, allant au-delĂ ou en dĂ©pit des fameuses « directives gouvernementales ».Nous avons appris que nous sommes des ĂȘtres incroyablement adaptables. Qui aurait pu imaginer en 2019, que tout un peuple, et surtout nous les Français, rĂąleurs et contestataires, resterait chez soi, confinĂ©, accepterait sans rĂ©volution la privation de culture, de restaurants, de sports, de tout ce qui, de façon arbitraire par dĂ©finition, a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme « non essentiel ».Nous avons appris que lâessentiel nâest pas que matĂ©riel. Il y aurait tant Ă dire sur cette dĂ©finition de lâessentiel et la nĂ©cessaire absurditĂ© des frontiĂšres. Manger, se soigner, certes. Mais travailler, sâaimer, prier, lire, penser, partager, bouger, marcher, chanter ? Lâhomme nâest pas quâun corps et rĂ©duire sa libertĂ© aux fonctions dites vitales nâassure pas lâessentiel. Le premier confinement a créé des dĂ©tresses psychologiques et mentales y compris la pire de toutes, la solitude de la mort, qui sont inhumaines.Nous avons appris que les catastrophes donnent libre cours aux informations les plus fantaisistes. Du bon comme du mauvais. Les fakes news foisonnent et plus câest gros plus cela passe. Comme on ne sait rien, autant inventer et fabriquer des fausses preuves. Donald Trump nous en a procurĂ© de belles, comme lâeau de javel qui pouvait guĂ©rir de la COVID. Mais ne soyons pas cruels, nous avons tous participĂ© Ă ces fake news. Qui nâa pas eu son opinion sur le port du masque, sur les cas de rĂ©cidives ou non, sur la façon de se transmettre le virus, sur la fin de la pandĂ©mie, sur le caractĂšre nocif ou non du vaccin. Le risque de prĂ©fĂ©rer une fausse information Ă lâignorance, est un piĂšge faussement rassurant dans lequel il est hĂ©las tentant de tomber.Nous avons appris que les catastrophes sont des accĂ©lĂ©rateurs de tendance. Les secteurs qui Ă©taient en dĂ©clin ou qui devaient se remettre en cause, notamment sur les questions environnementales et sociales, sâen sortent en gĂ©nĂ©ral moins bien que ceux qui avaient pris le virage de lâĂ©cologie et du digital.Nous avons appris que la crise nâest pas morale. Elle ne favorise pas le bon contre le mĂ©chant, le juste contre le malhonnĂȘte.Nous avons appris que la crise est incroyablement crĂ©atrice. On savait que ceux qui prennent leur part de chance, bougent, observent, cherchent une issue inconnue, plutĂŽt que de subir et rebondissent face Ă lâadversitĂ©, sâen sortent mieux que les pessimistes passifs. Mais, surtout, dĂ©penser son temps Ă lutter contre ce qui est inĂ©luctable empĂȘche de dĂ©dier son Ă©nergie Ă ce quâon maĂźtrise. MalgrĂ© les apparences trompeuses, notre capacitĂ© Ă agir est immense.Nous avons appris que le silence, lâintrospection, la mĂ©ditation, la contemplation de la nature, nâĂ©taient pas rĂ©servĂ©s Ă quelques-uns. Que nous aspirions tous Ă moins dâagitation, moins de consommation, moins de futile, moins de remplissage du vide. AprĂšs tout, nous ne sommes pas seulement des fourmis laborieuses, des hamsters dans la roue, des pions dans un Ă©chiquier trop grand et trop complexe pour nous. Nous sommes autonomes, libres de dĂ©cider et de crĂ©er instant aprĂšs instant, le prĂ©sent de nos vies. Et que cela ne concerne pas des grandes dĂ©cisions ou des ruptures existentielles, mais les actes simples de la vie quotidienne. Faire du sport ou regarder des sĂ©ries, aider la voisine pour ses courses ou se barricader de lâautre, regarder en boucle les informations ou lire des romans oubliĂ©s sur les Ă©tagĂšresâŠNous avons appris quâil ne fallait pas confondre la vigilance contre la pandĂ©mie et la peur de lâautre. A cet Ă©gard, le vocabulaire a de lâimportance. Nous regrettons quâon emploie des termes comme celui des « gestes barriĂšre » plutĂŽt que des « gestes de protection ». Dans lâune des formulations, on se barricade face Ă lâennemi incarnĂ© par celui qui vous cĂŽtoie, dans lâautre on se protĂšge et lâon protĂšge autrui. De mĂȘme, le terme de « distanciation sociale » est terrible. Albert Camus Ă©crivait « Mal nommer les choses, câest ajouter au malheur du monde ». Ce vocabulaire est malheureux car, au moment oĂč il faut sâentraider, oĂč le comportement des uns peut dĂ©terminer la vie des autres, parler de distanciation plutĂŽt que dâattention Ă lâautre implique une mĂ©fiance qui nâest pas de mise. JĂ©rĂŽme Lejeune pĂšre disait « il faut aimer le malade et haĂŻr la maladie ». A ne pas sĂ©parer les choses, on risque la confusion des sentiments.Nous avons appris que la rĂ©silience rime avec patience. Que la vie est un saut dâobstacles et quâil vaut mieux ne pas tous les considĂ©rer Ă lâavance, mais les franchir un par un. A regarder en arriĂšre, qui de nous se serait cru capable de renoncer Ă tant de choses qui paraissaient normales, Ă©videntes, acquises, de droit ? Et pourtant, nous avons franchi ces Ă©tapes, avec la conviction que câĂ©tait la seule chose Ă faireNous avons appris quâil faut se mĂ©fier des poncifs. Comme ââce qui ne tue pas rend plus fort ». Nous avons appris Ă ĂȘtre vulnĂ©rables, affaiblis, atteints, malades. A ne pas avoir la certitude que demain sera mieux. Et que nous Ă©tions probablement plus humains dâĂȘtre plus fragiles. Plus dignes dâintĂ©rĂȘt de respect, parce que plus humbles, moins arrogants, moins bardĂ©s de certitudes et dâĂ©vidence.Nous avons appris que les hĂ©ros ne sont pas dans les livres, mais dans la vraie vie. Ceux qui lâassument et la voient telle quâelle est et tentent dâapporter leur pierre Ă lâĂ©difice, plutĂŽt que ceux qui la rĂȘvent ou se rĂȘvent une vie idĂ©ale.Nous avons appris quâil y a tant Ă apprendre, Ă dĂ©couvrir, sur soi, sur les autres et sur le monde. Que la vie est chienne, mais quâelle nâa pas de prix. Que nous sommes dâindĂ©crottables mangeurs dâespĂ©rance, que nous remettons nos vies en jeu dĂšs quâelles sont en danger, que rien nâest acquis ni dĂ», mais tout est possible. Et que nous ne changerons le monde que si, humblement, nous admettons que nous devons dâabord changer nous-mĂȘmes.Et comme le disait Jean Gabin, nous avons appris que nous ne savons rien, ou pas grand-chose :
« Maintenant, je sais, je sais quâon ne sait jamais !La vie, lâamour, lâargent, les amis et les rosesOn en sait jamais le bruit ni la couleur des chosesCâest tout ce que jâsais, Mais ça, jâle sais ! »
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